Comme dans le film de Woody Allen “La rose pourpre du Caire” , nous avons quitté notre place de spectateur et avons traversé l'écran…comme pour essayer d'attraper l'image subliminale, déborder le cadre de la photo, utiliser les mots pour décrire et écrire….
Notre première rencontre avec le Far West aura lieu à Narby dans le Montana. Nous avions suivi la route des glaciers au Canada, longé une multitude de lacs aux couleurs somptueuses, traversé la frontière...et puis sans transition, cette sensation étrange que tout change...
Une rue unique ou toutes les maisons sont en bois: maison du shérif, saloon, barbier, banque, une architecture qui renvoie à nos lectures de BD ou souvenirs de films...oui le grand Ouest est là et on y pénètre. On y pénètre et 2000 km plus loin, on y est toujours. Le Montana, le Wyoming, le Colorado, le Utah, l'Arizona...on est monté progressivement sur un gigantesque plateau et depuis des semaines, on roule, on campe, on grimpe des cols: 2200, 2600, 2900, 3100, 3400, 3500 mètres pour redescendre toujours sur d’autres plateaux, encore plus grands, plus envoûtants. L'Amérique est immense.
Windson, premier choc. Une épicerie au milieu de nulle part, juste à une croisée de routes et pour notre bonheur des fruits frais, des légumes au choix. La porte s'ouvre en sonnant et je vois entrer un homme. Grand, maigre, avec un chapeau de cow-boy, portant une paire de jeans, des bottes, des bretelles tenues par des mousquetons, une moustache en carré encadrant sa bouche , on croirait un personnage sorti des livres de Cadwell ….il repart avec un pack de bières. La porte sonne de nouveau et je vois son jumeau entrer, le même type d'homme mais il y un bruit en plus. Je cherche, je regarde, je ...? oui !! Le son des éperons. Il ressort lui aussi avec ses bières et je le suis pour le voir monter sur son cheval….mais non, il grimpe dans un énorme pick-up tractant une carriole à bêtes. J'ai rêvé…
Indian Walhaki trail, route encore plus désertique, plus sauvage, il n'y a rien, même plus de troupeaux, juste quelques serpents écrasés. Le premier que nous verrons était gros comme le pourtour de mon bras et bien long. Sa robe couleur claire, marbrée... très impressionnant. Le deuxième était similaire mais beaucoup plus petit. Quand au troisième, bien vivant, d'une très jolie couleur vert bleu émeraude, fin, long, Malheureusement je n'ai pas eu le temps de l'éviter. Le temps d'un instant, ton cerveau calcule avant que tes yeux ne réalisent et tu fais le choix de passer. Entre un cri de bûcheron, un cri de peur, une poussée d'adrénaline, le pauvre je lui ai roulé dessus. 120 kg avec mes deux roues. Claude qui regardait une antilope au loin n'a pas vu, juste entendu mon cri et est repassée dessus….Depuis nous croisons beaucoup de vipères, plus ou moins grandes. Elles cherchent la chaleur de l’asphalte en ce debut d'automne mais les voitures sont sans pitié. Une, bien belle dans une montée de col m'a regardée paresseussement mais on s'est ignoré. Dans l’Utah, on nous a mis en garde très sérieusement sur les scorpions et des serpents extrêmement venimeux, donc on fait bien attention dès que l'on est hors route. Pour l'instant, on a vu juste des araignées, mais d'une taille inconnue en Europe.
Pause café, comme d'habitude au milieu de nulle part. Ici toutes les stations-service que tu rencontres pourraient s'appeler Bagdad Café. Je suis posé sur un banc et bois doucement ce café typiquement américain: brûlant, fade, léger, très long mais bien hydratant pour les cyclistes que nous sommes. Instant de repos et rêverie...un homme sort. Plus grand, plus imposant que ce que je peux imaginer, avec une stature digne, fière et cette peau cuivrée... Je le suis du regard, il me gratifie d'un “how’s it going today” et je m’attends à le voir monter sur son cheval, j'imagine déjà...mais non, il monte sur un quad et notre fier indien des Amériques s'en va. Autres époques, autres moeurs !
Danse avec les loups….jamais je n'aurais imaginé voir un gigantesque troupeau de bisons au milieu d'une prairie d'un vert pénétrant et traversée par un petit cours d’eau. Notre premier panneau signalétique sur les bisons, je l'ai pris en photo. Insolite, nouveau et tellement improbable que lorsque nous en croiserons un, à moins de 20 mètres, j'ai failli ne pas le voir. Incrédule, c'est Claude qui attirera mon attention. Bêtes incroyables !
Voyage au centre de la terre...Jules Verne. La traversée du park de Yellowstone sera un moment rare et exceptionnel. Geysers, mares de boues brûlantes, poches d’eaux aux couleurs translucides, terre qui fume, odeur de souffre...incroyable et impressionnant. Entendre le souffle de la terre, sorti d'un point boueux et bouillonnant sera un moment très fort. La bouche du dragon de nos histoires d'enfant existe vraiment.
Kremling dans le Colorado. Une tempête de vent très courte mais d'une férocité terrible nous oblige à pousser nos vélos. Nous arrivons au camping péniblement et frigorifiés. Pour une fois, je choisis la douche pour me rechauffer avant les courses. Me voilà donc avec ma serviette me dirigeant vers les sanitaires. Je rentre en même temps qu'un homme et immédiatement je me sens mal à l'aise. Vêtu entièrement en tenue camouflage, comme presque tous les hommes que nous rencontrons depuis que nous sommes entrés dans le Colorado profond; il a une arme sur sa hanche. Stupeur !! Et je prends ma douche à côté de lui….une heure plus tard dans le super marché, même effet, même effroi. Un homme armé en plein magasin. Ni shérif, ni militaire, ni….ou suis-je ?
2000 mètres d’altitude. Fatigués et pour ma part bien déshydraté après une très longue montée avec trop peu d'eau, on plante notre tente dans un camp tenu par des Mormons. Si l'accueil est cordial, on decline l'invitation à manger. Il est 17h30, trop tôt pour nous. Nécessité de s'installer, de faire la toilette à l'unique point d'eau ( énorme réservoir à l'arrière d'un pick up) et de projeter notre étape du lendemain….
Deux heures du matin... une envie pressante mais bien naturelle; après moultes hésitations, tu t’extirpes de ton sac de couchage dans un froid glacé et là, instant magique, la lune te tent les bras, le ciel étoilé est translucide et tu entends le long, l’incroyable vocalise que font des coyotes !! Comme des “teenagers” en fête.
Quel texte superbe ! Tout y est le style, l'émotion, le dépaysement, les portraits. Merci et bonne route.
RépondreSupprimerOui bien beau texte merci ...et l’auteur n’est Pas trop devant le paysage ...
RépondreSupprimerpassionnant , humour et poésie, tout y est. Un vrai délice de vous lire
RépondreSupprimerEt en plus des photos, vous avez le temps de faire de la littérature (pas litre et ratures)!..Vraiment vous nous comblez.
RépondreSupprimerMais, un détail m'intrigue. Comment le cow boy aux éperons arrivait-il à conduire son pick up?
Et un point technique: vous auriez pu récupérer 1 ou 2 reptiles assez longs pour en faire des pneus de rechange.