dimanche 19 novembre 2017

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Peur, désagréable peur et étrange souvenir.
Walden, 12 septembre, toute petite ville, nous venons de rentrer dans le Colorado. Pour camper il faut simplement se signaler au shérif. C'est un city park, un magnifique jardin partagé où il y a une tolérance pour les cyclistes de passage. Des toilettes sont à proximité, toujours d'une propreté exemplaire et pour la douche, il faut se rendre à la piscine locale à quelques pas. Contre quelques dollars, on nous donne une serviette, du savon et le tour est joué.
Le temps est  incertain, menaçant, nous décidons donc de monter notre tente à l'intérieur d'un kiosque. Protégés d'un éventuel orage,  sans soucis de séchage pour le lendemain, nous préparons notre camp et notre repas tranquillement.
Tim et Stanley nos amis néo-zélandais et américain avec qui nous voyageons depuis quelques temps prennent la même décision et voilà donc nos trois tentes côte à côte.
Ce sont des couche-tôt, très rapidement ils tombent dans le sommeil. Pour Claude et moi, le plaisir de la lecture du soir avec nos liseuses nous emmène un peu plus tard.
Oh, tard, c'est un bien grand mot, 9h30 nous sommes déjà dans un demi-sommeil.
Que se passera-t-il ensuite et surtout pourquoi nous ne le saurons jamais?
Une  intense lumière jaillit entre nos paupières fermées,  suivie d’un bruit énorme comme une décharge de fusil. Le toit du kiosque  a dû amplifier le phénomène et nous voilà Tim, Stanley et moi sortant de nos tentes en vrac. Tous les deux sont dans le “gaz” réveillés brutalement dans leur premier sommeil. On sent une forte odeur de poudre, on cherche, on regarde, on fait le tour du kiosque….rien. Pas de trace de pas dans les plantations, pas âme qui vive, pas de trace de pétard du style de ceux de mon enfance (les pirates). Nous  retournerons nous coucher avec un sentiment d'inquiétude, trouvant un sommeil instable.
Il ne pleuvra pas pendant la nuit, les tentes le lendemain seront sèches mais le double toit de Tim est criblé de minuscules trous, comme des petites brûlures et la nôtre a aussi quelques traces d’impact que nous découvrirons plus tard.

Hanksville,1er octobre. Nous venons de traverser le magnifique White Canyon dans la vieille voiture de Georg bercés par sa musique country. Encore sous le charme de cette succession de paysages totalement nouveaux pour nous, on se retrouve sans transition sur un bord de route avec nos vélos au milieu de nulle part  envahis par  un intense sentiment de solitude. Désert de roche, de sable avec  juste une route écrasée par le soleil, tout ici respire le vide,  la nature prend tous ses droits. On n’est pourtant pas loin du lac Powel,  quelques bateaux ou jetskis tractés par de forts pickups ont beau passer, rien ne résiste à ce vertige du rien, du son qui n'a pas d'écho, d'un silence sec. Ce premier contact avec cette aridité étonnante, après notre traversée des hautes Rocheuses nous laisse comme abasourdis, abandonnés à nous-mêmes. Vertige et mirage de l'éloignement de tout.
Curieusement le lendemain par le fait du hasard, il pleuvra abondamment au point que notre étape de montagne suivante sera enneigée. Nous serons bloqués une journée et repartirons sous le soleil.

Cameron 14 octobre. Nous sommes dans la réserve Indienne des Navajos. Avec une attentive consommation de notre eau et sans douche depuis trois jours, nous espérons dans ce lieu un peu de confort. Au final, juste un point d'eau mais abondant et comme toujours une table. Alors on s'installe et notre camp sera  sympathique.
En fin d'après-midi, une magnifique Harley avec son bruit de moteur caractéristique bien intégré dans les paysages américains arrive, chevauchée par un motard au look très sixty. On passera un long moment à discuter avec lui après notre repas, ce malgré notre americain boiteux et déclinerons son invitation à ”fumer” avec lui.
Douce nuit après une longue journée de vélo, nous aurons le plaisir d'émerger de notre sommeil au petit matin  avec une mélopée Navajo, très tenue, lointaine, voix de jeune fille presque fredonnée, d'une infinie douceur. Entre rêve et réveil, un moment unique.
Notre motard poète et auteur de cette écoute matinale, nous quittera un peu plus tard, en nous donnant sans discussion possible, une poignée de dollars.

Éloge de la lenteur… Comme un phonographe qui passerait une musique  lentement, en offrant la possibilité de l’entendre plus juste et de manière plus intense, nos vélos nous permettent d'avancer à vitesse humaine. Nous vivons dehors, le nez au vent et respirons l'instant. Les kilomètres passent à l'image  du sillage d'un bateau, ils s'effacent de notre mémoire pour ne laisser que des odeurs, des parfums, des musiques attrapées au passage, des paysages colorés de toutes les heures du jour. Toutes ces facettes d'impressions dessinent petit à petit une mosaïque où chaque tesselle n’est rien mais reliées ensemble forment des souvenirs.
N'est ce pas là finalement la raison du voyage?

Nous quittons le Mojave Desert pour rentrer progressivement dans la “city”. Los Angeles nous tend les bras, encore faut-il traverser la ville et elle est gigantesque !!. Sa première grande “banlieue” commencera pour nous peu avant Victorville: Ludtow. Le premier abord après trois mois de grande nature sera de retrouver la saleté, la poussière, les déchets et la misère humaine. Nous avions traversé des régions, des endroits très pauvres, mais la pauvreté des cités est tout autre. Les “homeless” se multiplient avec leurs tentes déchirées sur les bords de trottoirs, les takeaway, les fast food et les gigantesques magasins, lieu de consommation intense. Les bords de la cité débordent de bruit, vomissent une pollution désagréable mais petit à petit on pénètre dans des quartiers d'une belle quiétude avec des maisons en bois, souvent sur un étage dont je suis tombé amoureux. Le chemin en bicyclette propose souvent des chemins insoupçonnés et notre déplacement entre Pomona et le centre de Los Angeles sera magnifique à l'opposé de notre premier déplacement en bus. Le downtown nous laissera perplexe: pas de charme, un puzzle de quartiers trop délimités: chinois, pueblo, japonais...mais glisser tout doucement vers le Pacifique en traversant Hollywood, Berverly Hills sera de nouveau un ravissement.
Nous habitons la côte d'Azur mais la douceur de la Californie est exceptionnelle. Couleur du ciel, palmiers californiens, couleur de l'océan avec ses rouleaux incessants, ici il fait bon vivre...l'insoupçonnable légèreté de vivre !!

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